DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 12
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Henri-Anatole de Beaulieu
(Paris, 1819 – 1884)
C
onsidéré aux yeux de la critique comme
l’un des meilleurs élèves d’Eugène
Delacroix, Henri-Anatole de Beaulieu fait des
débuts remarqués au Salon de 1844 avec une
grande scène dramatique inspirée de l’Inquisition, révélant déjà sa sensibilité romantique et
son goût pour les compositions spectaculaires
et savamment construites. Parisien, il est à l’instar de son maître très tôt attiré par l’Orient et la
chaleur chromatique des atmosphères méditerranéennes. Il effectue ainsi plusieurs voyages en
Italie, en Afrique du Nord et au Proche-Orient, qui
nourrissent une œuvre placée dans un premier
temps sous le signe d’un orientalisme raf昀椀né
et empreint de poésie. Sous le Second Empire,
Beaulieu multiplie les participations au Salon
en privilégiant des représentations de scènes de
genres qui font valoir sa parfaite maîtrise de la
lumière et du mouvement et rencontrent un certain succès. Médaillé en 1868, il triomphe en 1870
avec une grande toile 昀椀gurant Le duel, ancienne
batterie de Goalennec, souvenir d’une rencontre,
saisissant spectacle d’un affrontement nocturne
à l’épée. L’œuvre en question, l’une de ses plus
célèbres, est directement achetée par l’État,
avant d’être déposée cinq ans plus tard au musée
des Beaux-Arts de Bordeaux, où elle se trouve
toujours actuellement. Artiste discret mais
estimé, il poursuit son œuvre jusqu’à sa mort en
1884, laissant une production puissante encore
marquée par l’héritage romantique, ainsi qu’une
certaine fascination pour l’exotisme oriental.
S
uggestive et empreinte de mystère, la
grande peinture que nous présentons
suit vraisemblablement le triomphe du Duel en
1870. Dans un format vertical, Henri-Anatole de
Beaulieu nous livre une scène de rue orientale
qui, à première vue, frappe par l’épaisseur de sa
matière, ses couleurs vives et ses puissants clairs
obscurs con昀椀nant à l’abstraction. Le titre inscrit
à même la toile, « Théâtre de Karagousse », renvoie à la tradition turque ou tzigane du théâtre
d’ombres, vieil art populaire dont les marionnettes suivent une gestuelle codi昀椀ée. La partie
gauche est dominée par un personnage debout,
au pro昀椀l 昀椀gé, sombre comme une ombre portée,
sans doute en train de manipuler une marionnette ou de tendre un rideau, tandis qu’à ses
pieds se recueille un enfant, bouquet de 昀氀eurs à
la main. Par un savant jeu de contrastes lumineux,
les 昀椀gures semblent émerger de la masse picturale épaisse et claire des architectures. La touche
de Beaulieu se veut rapide, expressive, voire
abstraite par endroits, traduisant la sensibilité
singulière de son auteur. Loin de décrire un événement précis en accumulant les détails ethnographiques, ce dernier déploie toute la richesse
de son orientalisme, en saisissant l’atmosphère
générale de la scène comme on suggère un souvenir ou une vision poétique. La palette, dominée
par des terres sombres rehaussées de blancs
laiteux, de rouges incisifs et de bleus sourds,
accentue le caractère onirique de la composition.
Par son lyrisme suggestif chargé d’émotions, aux
con昀椀ns du réel et du rêve, sa matière éclectique,
vaporeuse et résolument moderne, Beaulieu
prolonge ainsi le romantisme de Delacroix et
annonce les ébauches imprégnées de symbolisme chères à Gustave Moreau.