DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 22
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Euphémie Muraton
(Beaugency, 1836 – Saint-Denis-sur-Loire, 1914)
«
Mme Muraton a étudié la 昀氀eur avec une
attention très pénétrante ; elle a su 昀椀xer
en touches larges, lumineuses et précises la
physionomie intime des diverses espèces et
leur délicate personnalité 1», c’est en ces termes
élogieux que le critique d’art Octave Robin, avec
acuité, souligne en 1888 la façon singulière
dont Euphémie Muraton a fait de la peinture de
昀氀eurs l’une de ses grandes spécialités, et l’un des
jalons essentiels de sa notoriété. Née Euphémie
Duhanot, élevée dans une famille d’artistes, elle
parfait sa formation auprès de son époux, le
peintre Alphonse Muraton (1824-1911), adoptant
le nom de ce dernier pour sa signature. Installée
à Paris dès les années 1860, elle fait rapidement
le choix de se consacrer presque exclusivement
à la peinture de natures mortes. En 1864, elle
expose ses premiers tableaux au Salon, attirant
l’attention par la 昀椀ne sensibilité de ses couleurs et
sa rigueur de composition. Dès lors, elle participe
régulièrement aux Salons annuels, jusqu’en 1913,
y présentant une production raf昀椀née oscillant
entre bouquets luxuriants, intérieurs 昀氀euris et
compositions délicates évoquant l’esthétique
intimiste des écoles hollandaises. Exposante au
Salon des Artistes Français dès 1880, elle y est
récompensée à plusieurs reprises. Médaillée
de bronze à l’Exposition universelle de 1889, elle
reçoit une nouvelle médaille en 1893 à l’Exposition
de Chicago, où son œuvre est remarquée dans la
section consacrée aux femmes artistes au sein du
Woman’s Building. En effet, aux côtés d’Hélène
Bertaux, elle participe activement à la fondation
de l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs
en 1881, prenant part à leur première exposition
dès l’année suivante à la salle du Cercle des arts
libéraux. Constamment soucieuse de promouvoir
la création féminine, elle participe également
en 1895 et 1896 aux expositions de la Société
des Femmes Artistes à la galerie Georges Petit.
Installée dans le quartier de Montparnasse, elle
assure la formation de son 昀椀ls Louis Muraton, qui
poursuivra à son tour une brillante carrière de
peintre animalier. Restée 昀椀dèle à un art tout en
昀椀nesse et en retenue, Euphémie Muraton meurt
en 1914, laissant une œuvre discrète mais saluée
par ses pairs, où l’observation minutieuse du réel
se double d’une poésie silencieuse, propre à faire
dialoguer nature morte et vie intérieure.
S
ur le rebord d’une fenêtre de mansarde,
Euphémie Muraton dépeint ici une petite
plante aux feuilles épaisses dans son pot en terre
cuite, disposée aux côtés d’une grande jardinière
en faïence débordant de pivoines et dahlias
aux tons blancs, rose vif et lilas. À l’arrière-plan
s’étend la ville de Paris, embrumée dans des
tons gris-bleutés, d’où émerge à l’horizon la silhouette reconnaissable d’un vieux moulin à vent.
En effet, plusieurs ornent encore à l’époque la
Butte Montmartre, et devaient être directement
visibles depuis l’atelier de l’artiste établi au 17 de
la rue Duperré, dans le IXème arrondissement. Par
quelques touches précises, parfois chargées de
matière, Euphémie Muraton confère à chaque
pétale du bouquet un caractère charnel, contrastant avec l’arrière-plan qui, traité de manière plus
vaporeuse, s’efface dans un brouillard urbain
presque onirique. Cette opposition appuyée entre
la vie colorée du végétal et l’immobilité grise des
bâtiments enrichit la composition d’une certaine
mélancolie chargée de symbolisme, suggérant
les vanités du XVIIème siècle. Notre coin de 昀氀eurs
s’apparente ainsi à un fragile et précaire bastion
de douceur au cœur d’un monde indifférent. En
les immortalisant par la 昀椀nesse de son pinceau,
Euphémie Muraton justi昀椀e dé昀椀nitivement les
éloges d’Octave Robin : « Rien n’est plus vivant
que les 昀氀eurs animées par le talent si libre et si
curieusement assoupli de Mme Muraton. Elles
ont la fraîcheur, la grâce, le sourire et le parfum
des jolies femmes. Elles respirent, elles boivent la
lumière ; elles palpitent, en昀椀n. […] La différence
qui existe entre les 昀氀eurs naturelles et celles de
Mme Muraton c’est que les premières ont vécu
seulement ce que vivent les 昀氀eurs éphémères,
tandis que celles-ci sont à jamais 昀椀xées, par un
art ingénieux, dans une fraîcheur inaltérable,
dans une jeunesse qui ne se flétrira pas.2 »
Robin, O., Catalogue de 40 tableaux par Mme Euphémie Muraton, Hôtel Drouot, salle n° 8,
Lundi 26 mars 1888, Me Paul Chevallier, p. 6-7.
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Robin, O., Catalogue de 60 tableaux par Mme Euphémie Muraton, Hôtel Drouot, salle n° 8,
samedi 17 mai 1890, Me Paul Chevallier, p. 3-4.
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