DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 40
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Charles Maurin
(Puy-en-Velay, 1856 – Grasse, 1914)
près un apprentissage au sein de l’École
municipale de dessin du Puy-en-Velay,
sa ville natale, Charles Maurin remporte en
1875 le prix Crozatier, une bourse lui permettant
d’étudier trois ans à Paris. Il y fréquente d’abord
l’Académie Julian où il suit les enseignements
de Rodolphe Julian, Jules Lefevre et Gustave
Boulanger, avant d’intégrer dès 1876 les ateliers d’Ernest Hébert et de Jean-Léon Gérôme à
l’École des Beaux-Arts. Esprit libre et curieux, lié
à Vallotton ainsi qu’au sculpteur Rupert Carabin,
il s’écarte rapidement de l’esthétique of昀椀cielle,
préférant à la grande machine historique une
peinture plus intime, nourrie de préoccupations
sociales et humanistes. A partir de 1882, il expose
au Salon des Artistes Français, mais trouve dans
le Salon des Indépendants un espace de liberté
plus en accord avec ses recherches plastiques.
Dans les années 1890, il s’oriente vers une peinture plus mystérieuse et symboliste, participe
régulièrement entre 1892 et 1897 au Salon de la
Rose+Croix de Joséphin Péladan, ainsi qu’à la
Libre Esthétique de Bruxelles. Anticlérical, républicain fervent, passablement anarchiste, Maurin
fréquente également les milieux libertaires de
Montmartre et collabore au journal Les Temps
nouveaux de Jean Grave, ainsi qu’à La Revue
blanche. Graveur reconnu pour ses eaux-fortes
et ses lithographies, il réalise le bois gravé de
Ravachol entre les montants de la guillotine et
plusieurs croquis de Louise Michel. Par l’intermédiaire d’Aristide Bruant, l’un de ses amis montmartrois, le jeune peintre fait la connaissance de
Lautrec. Comme ce dernier, il s’attache à décrire
les lieux cosmopolites de la vie nocturne de la
capitale, les cabarets et les salles de spectacles
de la Butte. Au cœur de l’avant-garde, il béné昀椀cie
en 1893 d’une importante exposition en compagnie de Lautrec organisée par Maurice Joyant à
la galerie Boussod et Valadon, successeurs de
Goupil & Cie. Deux ans plus tard, c’est au tour
d’Ambroise Vollard d’accueillir les œuvres de
l’artiste sur ses cimaises. Artiste proli昀椀que, il se
tient relativement à l’écart des manifestations
artistiques après 1901. Tombé malade en 1906, il
A
meurt à Grasse le 8 juin 1914, peu avant l’éclatement de la première guerre mondiale.
éalisé dans les années 1890, notre grand
pastel de Charles Maurin se fait le témoin
du Paris artistique et bohème de la Belle Époque,
alors que les cabarets montmartrois constituaient les premières scènes de l’avant-garde.
Comme l’artiste l’indique en bas à droite, la scène
se déroule au « Cabaret des Arts » ouvert en
1890 au 36 boulevard de Clichy dans le 18èmearrondissement, juste en bas de la Butte. Jusqu’en
1904, année où il est rebaptisé La Lune rousse,
ce cabaret à la frontière entre café-concert et
lieu de goguette réunit invariablement poètes,
chansonniers, artistes, bourgeois curieux et
élégantes demi-mondaines qui se pressent pour
écouter, débattre, séduire, rire ou s’émouvoir.
Dans un intérieur saturé, Maurin souligne la
lumière ocre des murs, les re昀氀ets des verres et
les étoffes colorées pour traduire un climat à la
fois festif et feutré. Au centre, trônant sur l’estrade, accoudé au piano, un chansonnier campé
dans un long manteau noir harangue la salle de
ses vers, entre éloquence et 昀椀èvre. Derrière lui,
un pianiste 昀氀egmatique, cigarette au coin des
lèvres, l’accompagne d’un rythme sans doute
improvisé. Tout autour, l’audience bourdonne.
On reconnaît dans cette assemblée hétéroclite
les attributs du Paris 昀椀n-de-siècle : femmes à
plumes et corsets aux couleurs vives, hommes
en redingote et chapeaux haut-de-forme, artistes
barbus en casquette, 昀椀gures reconnaissables
d’un théâtre social codi昀椀é. Sur les murs en昀椀n, les
toiles suspendues et les silhouettes encadrées
accompagnent une sculpture académique. Tout
indique une forme de mise en abyme : on parle
d’art dans un lieu habité par l’art, on le consomme
dans les deux sens du terme, comme un breuvage
ou comme un feu. Le pastel lui-même, médium
direct et vibrant dont Maurin constitue l’un des
plus grands spécialistes de sa génération, souligne cette immédiateté du trait, ce désir de capter
l’instant de création avant qu’il ne se dissipe.
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