DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 52
16.
Charles Edward Conder
(Tottenham, 1868 – Virginia Water, Surrey, 1909)
N
é à Tottenham au sein du milieu aisé
et cultivé de Londres, Charles Edward
Conder passe les années de sa petite enfance
aux Indes britanniques, avant la mort de sa
mère en 1873. Il rentre ensuite en Angleterre et
est mis en pension à Eastbourne à partir de 1877.
A quinze ans, Conder quitte l’école et entend se
choisir une voie plus artistique. Effectuant un
rapide séjour à Paris, il fréquente l’atelier de
Victor Leclaire en 1884. Incompris par son père
qui exige qu’il devienne ingénieur, il est envoyé à
dix-sept ans en Australie, à Sydney, auprès d’un
oncle géomètre-expert en Nouvelle-Galles du Sud.
Détestant cet emploi, le jeune homme préfère
dessiner les paysages et s’adonne à l’illustration.
Dès 1886, il envoie certains de ses dessins aux
Illustrated Sydney News, et c’est par ce biais
qu’il fait la connaissance d’artistes comme Albert
Henry Fullwood, Frank Mahoney et Benjamin
Edwin Minns. Il suit l’enseignement artistique
d’Alfred James Daplyn et rejoint l’Art Society de
Nouvelle-Galles du Sud, mouvance naturaliste
qui privilégie le travail du plein air. Il devient en
1888 l’un des membres les plus prometteurs de
la Heidelberg School, le groupe australien qui
marque l’émergence d’un impressionnisme local,
attaché à la lumière et aux paysages. C’est au
contact de Tom Roberts et d’Arthur Streeton qu’il
af昀椀ne une touche déjà sensible, alliant rigueur du
dessin et poésie chromatique. En 1890, Conder
quitte l’Australie pour l’Europe. Il séjourne d’abord
à Paris, où il étudie à l’Académie Julian, et se lie
d’amitié avec plusieurs 昀椀gures du symbolisme et
de la scène post-impressionniste, en particulier
Lautrec, Anquetin et Jacques-Émile Blanche.
Dès cette époque, il se détourne du naturalisme
pour s’orienter vers une peinture plus allusive,
in昀氀uencée par Watteau et Boucher, mais aussi
par les estampes japonaises. Il commence à
peindre des éventails sur soie en reprenant avec
délicatesse les thèmes galants du XVIIIème siècle.
Dès 1892, il s’installe à Londres où il se rapproche
du cercle d’Aubrey Beardsley, Oscar Wilde, et des
artistes de la Société des Beaux-Arts de Chelsea,
participant activement à la vie culturelle de
l’avant-garde britannique. Son œuvre, souvent
exposée à la New English Art Club, séduit par son
raf昀椀nement, son élégance narrative et son onirisme contenu. Il collabore ponctuellement avec
William Rothenstein et forme un lien intellectuel
avec les membres du mouvement symboliste
européen. Son art connaît une reconnaissance
croissante après 1900, notamment à travers les
expositions personnelles à la Carfax Gallery et à
la Goupil Gallery, ainsi qu’à la Biennale de Venise
de 1907, où ses œuvres attirent l’attention de la critique continentale. Atteint de syphilis depuis les
années 1890, sa santé décline. Affecté de graves
symptômes, comme le delirium tremens, il est
hospitalisé et décède prématurément en 1909.
D
ans notre aquarelle sur soie, médium dont
Charles Conder fait l’un de ses territoires
d’élection à partir de la décennie 1890, l’artiste saisit toute la poésie 昀氀ottante d’un monde mondain
en voie de disparition, transposé dans un rêve de
gaze et de lumière. Figurant des élégantes dans
un café probablement parisien, l’œuvre paraît
昀椀ger le bruissement d’une conversation qui, par
l’atmosphère vaporeuse de l’ensemble, se voile
d’un certain mystère. Deux jeunes femmes aux
robes soyeuses s’avancent au centre de la composition, comme échappées d’un bal de Watteau
ou d’un éventail galant. Leurs tenues, mêlant
plumes, étoffes diaphanes, tailles lacées et chapeaux d’apparat, ne relèvent pas d’un costume
d’époque, mais bien d’un imaginaire rococo revisité par le regard 昀椀n-de-siècle. Le geste suspendu
de la 昀椀gure de droite, qui tend la main vers un
fauteuil vide, invite presque le spectateur à s’asseoir dans cette scène élégiaque, où la musique
semble jouer en sourdine. Le cadrage resserré
et la faible profondeur donnent à l’ensemble des
allures de décor de théâtre. La couleur se dilue
comme un parfum proustien, chargé de souvenirs. Le peintre superpose les lavis d’aquarelle en
transparences feutrées, traduisant subtilement
les textures des soieries comme la sensualité des
chairs. Par son élégance raf昀椀née, notre aquarelle
offre ainsi le vibrant témoignage de la place singulière qu’occupe Conder dans les constellations
post-impressionniste et symboliste, à la frontière
entre le souvenir stylisé et le rêve évanescent.