DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 56
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Elsa Niemeyer-Moxter
(XIXème-XXème)
ée en Allemagne, exerçant la majeure
partie de sa carrière à Munich, l’artiste
peintre Elsa Niemeyer-Moxter reste encore
méconnue et sa biographie demeure à ce jour
assez peu documentée. Elle débute en tant qu’illustratrice vers la 昀椀n des années 1890 en réalisant pour la presse artistique munichoise des
dessins expressifs mêlant encre et lavis, aux
sujets charmants ou anecdotiques, souvent
empreints d’humour léger. Collaborant avec les
revues artistiques et littéraires Die Fliegenden
Blätter, Meggendorfer Blätter et Jugend, périodique tout juste créé par Georg Hirth en 1896,
elle pose les fondations de sa renommée dans le
graphisme Jugendstil. Elle participe également
à l’illustration du Simplicissimus, célèbre hebdomadaire satirique également conçu au cours
de l’année 1896 par Albert Langen et Thomas
Theodor Heine sur le modèle du Gil Blas parisien.
Bien que son nom reste peu répandu hors des
cercles germanophones, ses dessins lui valent
une certaine reconnaissance dans les milieux
éditoriaux artistiques, et plusieurs se trouvent
aujourd’hui conservés dans les collections de la
Lenbachhaus de Munich.
N
otre grande huile sur toile appartient au
rare corpus des œuvres peintes d’Elsa
Niemeyer-Moxter et offre un spectaculaire témoignage de ses ambitions artistiques. À travers une
composition très graphique évoquant certaines
illustrations de Reinhold Max Eichler, son auteure
fait émerger d’un halo circulaire noir la 昀椀gure
centrale d’une danseuse aux atours orientaux,
telle une vision enclavée dans un médaillon
d’orfèvrerie. Tout en mouvement, la jeune femme
est saisie dans un geste ample et harmonieux,
N
les bras écartés, les jambes tendues dans un
pas de danse semblant dé昀椀er la gravité, d’une
intense théâtralité. Alors que sa main gauche
fait virevolter un voile bleu nuit qui se confond
avec le fond entièrement noir et sombre, sa main
droite laisse négligemment tomber derrière
elle une coupe dorée et substantiellement vide.
S’apparentant aux ciboires sacrés, ce précieux
récipient vient suggérer l’ivresse et conférer à la
scène une dimension insidieuse et presque blasphématoire. De cet espace scénique circulaire
aux allures de cosmos fermé, la lumière semble
jaillir de la danseuse elle-même par le scintillement de sa jupe orangée, ses bijoux perlés, les
broderies précieuses de son corsage doré et orné
de cabochons lapis lazuli. Son corps lumineux
et sensuel devient presque iconique par sa stylisation, incarnant l’archétype de la femme fatale,
artiste, libre et rayonnante, dans la pure tradition
des 昀椀gures mythiques comme Schéhérazade ou
Salomé. Le sujet a d’ailleurs sans doute été inspiré par le Salomé de Richard Strauss, opéra créé
en 1905 au Königliches Opernhaus de Dresde
d’après la pièce de théâtre d’Oscar Wilde, dont
le point culminant demeure précisément la
danse des sept voiles, fatale au prophète JeanBaptiste. À l’image des visions de Gustave Moreau
ou des décors de Léon Bakst pour les Ballets
Russes, Niemeyer-Moxter convoque ici tout un
imaginaire de l’Orient rêvé, fait de soieries, de
gestes sacrés et de mystère. Mais là où le regard
masculin enferme souvent ces 昀椀gures dans
une sensualité parfois stérile, l’artiste féminine
offre à sa danseuse le rayonnement d’une ef昀椀gie sacrée et puissante, dont le corps tout en
tension apparaît comme saisi à l’instant même
de sa transfiguration.