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Michel Simonidy
(Bucarest, Roumanie, 1872 – Paris, 1933)
N
é à Bucarest sous le nom de Menelas
Simonidy, il intègre dès l’âge de seize ans
l’atelier de Theodor Aman à l’école des BeauxArts de la ville. Montrant très tôt un talent horsnormes, multipliant les médailles et les mentions,
il obtient en 1891 une bourse pour étudier à Paris,
où il s’établit durablement l’année suivante. C’est
dans la capitale française qu’il fait le choix de
signer désormais ses œuvres Michel Simonidy,
assimilant les codes et mœurs de son nouveau
pays d’adoption. Après avoir étudié à l’Académie Julian auprès de Gabriel Ferrier et William
Bouguereau, il devient en 1893 l’élève de Léon
Bonnat à l’École des Beaux-Arts, où il approfondit la fermeté de son dessin, en l’associant à
une touche sensible et raf昀椀née. A partir de 1896,
il expose chaque année au Salon des artistes
français des compositions symbolistes aux sujets
le plus souvent tirés de la mythologie gréco-romaine. En parallèle, son talent graphique s’exprime dans l’art de l’af昀椀che Art Nouveau. Dès
1895, il signe une af昀椀che pour Sarah Bernhardt
incarnant la Mélisande de La Princesse lointaine
d’Edmond Rostand. Il renouvelle l’expérience en
1903 en créant une af昀椀che de la grande Sarah
en Théodora, personnage principal de la pièce
de Victorien Sardou. Il triomphe en 1900 à l’Exposition universelle avec une importante toile
allégorique : A la suite de l’Indépendance, la
Fortune distribue ses bienfaits a la Roumanie
(cat. n° 58), œuvre monumentale devant orner le
plafond de la Salle de Conseil du nouveau palais
de la Caisse d’Épargnes et de Consignations de
Bucarest, tout juste achevé d’après les plans de
l’architecte français Paul Gottereau. Médaillé
d’argent, Simonidy est fait chevalier de la Légion
d’Honneur dès l’année suivante. Privilégiant le
salon de la Société Nationale des Beaux-Arts à
partir de 1903, il multiplie les succès et s’af昀椀rme
comme l’une des 昀椀gures majeures de la peinture
roumaine, conciliant habilement son symbolisme délicat et sensuel à l’art du portrait et de la
peinture de genre. Durant l’entre-deux-guerres,
les galeries Barbazanges et Georges Petit lui
consacrent successivement à Paris d’importantes rétrospectives en 1922 et 1926.
T
itrée « Erato » sur le revers, la toile que
nous présentons constitue un superbe
exemple de l’art symboliste décoratif que Michel
Simonidy élabore au tournant du siècle. En choisissant de personni昀椀er Erato, muse grecque de
la poésie lyrique et érotique, l’artiste renouvelle
l’iconographie traditionnelle de cette dernière
en l’érigeant au rang d’icône profane. Au cœur
d’une jungle à la végétation dense et sombre se
détache le buste lumineux d’une 昀椀gure féminine
au pro昀椀l classique et idéalisé, à la chair nacrée
sensiblement rosée sous une grande et éclatante
chevelure rousse. Glissé dans les mèches de ses
cheveux, un petit diadème orné d’une gemme
verte souligne discrètement le statut divin de la
jeune 昀椀lle, alors qu’une large rose pourpre vient
suggérer la passion amoureuse intimement liée
à la muse. Recueilli et hiératique, son visage
昀椀nement modelé incarne toute la concentration
qu’éprouve l’âme à la lecture des poèmes. Les vers
sont rassemblés dans son petit livre aux tranches
rouges, le signet de ruban suspendu, la reliure en
cuir ouvragé laissant apparaître sous ses doigts la
昀椀gure ailée de Cupidon. Exhibant à son poignet un
large bracelet orné d’un cabochon rose, le corps
enveloppé de somptueuses broderies médiévales,
la muse apparaît comme une prêtresse exerçant
par son geste suspendu de lecture un rite sacré
et gnostique. Loin d’être anodin, le mystérieux
fond végétal fait écho au rôle d’Erato comme
muse de l’amour et de la nature féconde. Dans
cette pénombre, des touches de lumière verte et
or créent une atmosphère de clairière enchantée,
espace hors du temps où le silence obtient comme
par magie une certaine résonance spirituelle. S’il
trouve sans doute sa première source dans les
portraits allégoriques préraphaélites, le symbolisme érudit de Simonidy n’est pas sans évoquer
directement ici les œuvres contemporaines de
son condisciple Edgar Maxence.