DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 8
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Georges de Lafage-Laujol
(La Chapelle, 1832 – Montmartre, 1858)
I
ssu d’un milieu parisien cultivé, 昀椀ls d’un
ancien of昀椀cier de marine reconverti en journaliste, Georges-Albert-Léon Laujol de Lafage, dit
Georges de Lafage-Laujol, montre très tôt un goût
marqué pour le dessin. Accompagné de son frère
Amilcar, lui-même lithographe, Georges entre
dans l’atelier réputé de Pierre-Roch Vigneron,
avant de rejoindre, rue Houdon à Montmartre,
l’entourage artistique de Narcisse Díaz de la Peña,
son véritable mentor. Vers 1849, alors qu’il n’a
pas encore vingt ans, Georges entre à l’École des
Beaux-Arts de Paris et se prépare au prestigieux
concours du Prix de Rome. Dès 1850, il participe
pour la première fois au Salon de Paris en exposant trois paysages qui, célébrés par certains
critiques pour leur coloris tendre et frais, retranscrivent, sous l’in昀氀uence de Corot et de Chintreuil,
les atmosphères nacrées de douces matinées de
printemps. Après avoir envoyé quatre tableaux à
l’Exposition universelle de 1855, il remporte une
mention honorable au Salon de 1857, preuve d’une
reconnaissance rapide par ses pairs. Considéré
comme une voix montante de la nouvelle génération de paysagistes, et également lithographe de
talent, Georges de Lafage-Laujol déploie un style
délicat, intime et poétique, parfois chargé d’une
sensibilité encore romantique qui le rapproche
de Rousseau ou de Daubigny. Membre du cénacle
artistique de Pont-de-Vaux animé par Chintreuil,
il fréquente l’atelier des frères Desbrosses rue du
Cherche-Midi, où il fait la connaissance d’Henri
Murger, Baudelaire et Champ昀氀eury. Bien que de
constitution robuste, au cours du mois de mars
1858, il rapporte d’une de ses séances de travail
en plein-air « une bronchite qui dégénéra en
phtisie galopante1 ». Il décède prématurément le
23 mars 1858 à Montmartre à l’âge de vingt-cinq
ans, au sommet de son art. Après que son travail
ait été remis en lumière lors de la grande exposi-
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tion du Centenaire de la lithographie organisée
à Paris à la galerie Rapp à la 昀椀n de l’année 1895,
l’un de ses tableaux, une Matinée d’automne,
est présenté à l’Exposition universelle de 1900
dans le cadre de l’exposition centennale de l’art
français (cat. n° 392).
P
einte en 1854 et provenant de la prestigieuse collection d’Henri Rouart, notre
grande huile sur panneau appartient au rare
corpus subsistant de l’œuvre de Georges de
Lafage-Laujol, et offre le vibrant témoignage d’un
talent déjà arrivé à maturité. Dans un cadrage
panoramique, le peintre a saisi au crépuscule
l’atmosphère froide, humide et marécageuse de
l’orée d’un bois en plein hiver. Au premier plan,
l’étendue sombre accueille la gelée du soir, un
point d’eau vient ré昀氀échir les dernières lueurs du
ciel, tandis qu’au loin s’élèvent, en suspens, les silhouettes nues de grands chênes, 昀椀gés dans l’hiver
comme dans un profond silence. Lafage-Laujol
excelle ici dans l’art du contre-jour. Les arbres
décharnés aux branches nues et frémissantes
se détachent 昀椀nement du ciel. Ce dernier, traité
en de subtiles gradations chromatiques allant
du bleu pervenche au rose orangé, se voit seulement troublé par le vol de quelques oiseaux noirs.
Apparaissant discrètement en haut à gauche du
tableau, le 昀椀n croissant de lune se charge quant
à lui d’annoncer la nuit. Au centre, comme déjà
enfoui par le paysage, un cavalier solitaire accompagné de son chien traverse la lisière. Dans un
esprit proprement romantique, l’artiste entend
souligner la fragilité de l’homme, espèce transitoire au cœur de l’immensité boisée où le temps
semble suspendu. S’il se veut prophétique pour
son auteur, disparu peu après, notre paysage
résonne ainsi comme un poème tragique qui
invite à l’humilité et à la méditation.
Henriet, F., Jean Desbrosses : peintres contemporains, Paris, A. Levy, 1881, p. 42.