DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 86
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Léon Schulman Gaspard
(Vitebsk, Biélorussie, 1882 – Taos, Nouveau-Mexique, 1964)
N
é à Vitebsk au sein d’une famille juive de
Biélorussie, Léon Schulman reçoit ses
premières leçons de dessin dans sa ville natale
auprès de son compatriote le peintre Iouri Pen,
avant de poursuivre ses études à l’École des
Beaux-Arts d’Odessa entre 1899 et 1904. En
1905, il s’installe à Paris, où il suit brièvement les
enseignements de Marcel Baschet et Édouard
Toudouze à l’Académie Julian. Il fait ses débuts au
Salon d’Automne entre 1906 et 1912, tout en participant également au Salon de la Société Nationale
des Beaux-Arts en 1907, puis au Salon des Artistes
Français entre 1909 et 1913. L’artiste se spécialise dans les scènes de genre enjouées peuplées
de foules et de marchés, de kermesses et de
foires villageoises, en combinant sa sensibilité
romantique à une technique picturale moderne
puisée chez les post-impressionnistes, tout en
mouvement, usant des jeux de lumière et des
couleurs vives. Aux côtés de Devambez, Forain,
Steinlen et Van Dongen, il prend part en 1908 et
1911 aux expositions de La Comédie Humaine,
rassemblant des peintures et dessins aux accents
humoristiques ou théâtraux à la Galerie Georges
Petit. Intégrées à de luxueux catalogues préfacés
par Arsène Alexandre, ses œuvres y sont remarquées, et suscitent les éloges du critique François
Monod : « M. Léon Schulmann-Gaspar [sic]
s’af昀椀rme un illustrateur et un caractériste de
premier ordre1 ». En 1908, il épouse l’Américaine
Evlyn Adell, convertie à l’Orthodoxie, entamant
une vie nomade qui le mène de Paris à la Russie,
puis à New York. Peintre désormais établi, il
adopte un style de vie plus mondain et ajoute en
1911 le nom parisien de « Gaspard » à sa signature. Mobilisé dans l’aviation française pendant
la Première Guerre mondiale, il survit à un grave
accident en vol et passe deux ans en convalescence. En 1918, souffrant de la persistance des
symptômes liés à ses blessures, il rejoint la ville
de Taos au Nouveau-Mexique, où la chaleur du
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climat lui est plus béné昀椀que. Se liant d’amitié avec
le peintre américain William Herbert « Buck »
Dunton, fondateur de la Society of Taos Artists,
il y reste jusqu’à la 昀椀n de sa vie, peignant sans
relâche des scènes villageoises, des souvenirs
de Russie ainsi que des paysages américains qui
rencontrent un franc succès.
P
einte en 1909, à l’aube de sa carrière parisienne, notre petite scène urbaine et nocturne témoigne avec une justesse poignante du
regard incisif et tendre, parfois mélancolique,
que porte Léon Schulman sur ses contemporains. Sobrement intitulée « Les Musiciens2 »,
elle échappe à la simple peinture de genre, en
conférant aux silhouettes les plus modestes la
monumentalité des archétypes populaires. Au
cœur de la nuit, deux hommes, visiblement âgés,
avancent à petits pas sur un trottoir de Paris. L’un
est courbé sous le poids de son hélicon cabossé,
l’autre, canne à la main, le guide d’un geste ferme
mais fragile. À leurs pieds, un petit chien noir,
compagnon discret, suit 昀椀dèlement. Le sol est
usé, les corps fatigués, mais la composition
est silencieuse et pleine de dignité. En arrièreplan, devant la devanture lumineuse d’un bar,
se pressent les silhouettes 昀氀oues des passants
et des derniers fêtards attablés. Ignorés par ces
derniers, nos deux musiciens sont magni昀椀és
par le regard du peintre. À son dessin précis,
Léon Schulman ajoute une touche hachurée et
vibrante, presque gravée, reprise à la hampe
de son pinceau, qui n’est pas sans évoquer par
endroit le traitement très texturé de Lautrec. Les
tons sourds (gris, bruns, verts sales) contrastent
avec les quelques accents de rouge sur les chapeaux et les fenêtres. A peine suggéré, le paysage urbain devient un écran de théâtre devant
lequel se détache notre saisissant duo, symbole
moderne d’une amitié toujours fidèle.
Monod, F., « Le Mois Artistique », L’Art et les Artistes, octobre 1911, p. 271.
Notons que ce titre, « Les Musiciens » est employé précédemment par l’artiste pour des œuvres exposées
(peut-être la même) au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1907 (cat. n° 1072),
ainsi qu’à l’exposition de La Comédie Humaine à la Galerie Georges Petit, du 2 au 31 décembre 1908 (cat. n° 228).
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