DWZ catalogue 3 BD - Flipbook - Page 88
30.
Käthe Olshausen-Schönberger
(Mödling-Hinterbrühl, Autriche-Hongrie, 1881 – Graz, 1968)
N
ée en 1881 dans une famille juive allemande de Mödling-Hinterbrühl, près
de Vienne, Käthe Olshausen-Schönberger a
quatorze ans lorsque ses parents déménagent
à Berlin. Montrant de réelles dispositions pour
le dessin, elle se forme en autodidacte et débute
très tôt une proli昀椀que carrière d’illustratrice. Dès
1896, tout juste âgée de quinze ans, elle illustre son
premier recueil, Aus Thier - und Menschenleben
[De la vie animale et humaine] avec vingt-cinq
dessins à la plume de scènes légères et amusantes qui traduisent déjà son appétence pour
une imagerie animalière anthropomorphe assez
singulière, sans doute en partie puisée chez
Grandville ou Gustave Doré. Mêlant satire sociale
et virtuosité graphique, Olshausen-Schönberger
multiplie les illustrations pour des revues humoristiques telle Fliegende Blätter et publie entre
1901 et 1919 une importante série de livres pour
enfants intitulée Im Spiegel der Tierwelt [Dans
le miroir du monde animal] qui assoit sa notoriété (昀椀g. 1). Au service de ses sujets emprunts
d’ironie, son dessin 昀氀uide et élégant dans la veine
Jugendstil s’appuie sur une 昀椀ne observation
du monde animal ainsi qu’une connaissance
très précise de ses mouvements. En 1914, elle
remporte à Leipzig la médaille d’argent à la
Welt-Ausstellung für buchgewerbe und graphik
[l’Exposition universelle de l’industrie du livre
et des arts graphiques], consacrant la reconnaissance internationale de ses illustrations
originales. Mariée peu après 1900 au diplomate
Franz Olshausen, elle séjourne successivement
à Berlin, Munich, Königstein, New York, avant
de parcourir une partie de l’Amérique du Sud
et du continent africain en compagnie de son
époux. Durant l’entre-deux-guerres, elle épouse
en secondes noces le peintre animalier Karl
Ritter von Dombrowski, adoptant son nom pour
certaines de ses signatures. À partir de 1930,
elle accorde une plus grande importance à son
travail d’écrivain, publiant des romans, essais
et nouvelles, et exerçant comme créatrice de
pièces radiophoniques.
N
otre saisissant pastel donne forme à une
vision onirique et troublante de Käthe
Olshausen-Schönberger, où l’univers du conte
animalier bascule dans une fable symboliste
aux accents hallucinés. L’œuvre met en scène
une rencontre nocturne entre deux créatures
hybrides, isolées dans un espace désert et obscur.
A gauche 昀椀gure le corps enroulé d’un serpent
gigantesque, dont s’élève un long cou vertical
terminé par un visage de femme, dont l’expression ambiguë, cruelle et prédatrice, émergeant
de l’ombre. Lui faisant face à droite, un lapin
blanc au visage de vieil homme moustachu se
campe debout sur ses deux pattes arrières, le
dos courbé, les oreilles tombantes, tremblant,
tout à la fois effrayé et fasciné. Le traitement
au pastel, dans une palette sourde de bruns et
de noirs, de blanc crème et de gris, accentue
cette sensation d’étrangeté feutrée, comme si la
scène se déroulait au fond d’un théâtre mental.
À travers ce prédateur et sa proie, l’artiste met
en scène un drame muet entre deux âmes personni昀椀ées. Le serpent, porteur d’une féminité à
la fois séduisante et redoutable, surgit comme
un archétype du désir et de la tentation, posant
son regard fatal sur le fragile et vieillissant lapin
anthropomorphe. Par ce face-à-face glacé, Käthe
Olshausen-Schönberger signe une fable noire et
mystérieuse d’une grande puissance allégorique,
où l’on devine les échos psychanalytiques d’une
rêverie entre Kafka, Freud et Odilon Redon.