DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 72
Charles Guilloux
(Paris, 1866 – Lormes, 1946)
P
e i nt r e a u t o d i d a c t e , e m p l oyé à l a
Bibliothèque Nationale, Charles Guilloux
fait sensation en 1891 en exposant pour la première fois une série de paysages au Salon des
Indépendants, aussitôt remarqués par le critique
Claude Roger-Marx. A partir de l’année suivante,
il participe à toutes les Expositions des Peintres
Impressionnistes et Symbolistes organisées par
la galerie Le Barc de Boutteville, rue Le Peletier
à Paris, qui lui consacre par la suite deux importantes expositions monographiques en 1896 et
1898. Guilloux se voue exclusivement au paysage
en privilégiant une facture foncièrement synthétique, empreinte d’un lyrisme au fort impact
émotionnel. S’inscrivant en réaction aux effets
lumineux de l’impressionnisme, l’artiste associe
la synthèse des formes à l’utilisation de couleurs
vives, puisant dans la théorie du contraste simultané des couleurs énoncée par Ernest Chevreul
en 1839. Dès ses débuts, il séduit de nombreux
collectionneurs et des critiques célèbres comme
Gabriel-Albert Aurier, Félix Fénéon ou Rémy de
Gourmont. Au Salon des Indépendants de 1892,
Gustave Geoffroy salue ainsi en Guilloux le « paysagiste [qui] s’essaye à faire parler aux choses
un langage nouveau […]. Par les eaux et les ciels
qui se répondent, les solitudes où les choses ont
une attitude mystérieuse1 ».
D
até de 1904, soit un an avant la première
participation de Guilloux au Salon de la
Société Nationale des Beaux-arts, notre paysage
illustre parfaitement la vision singulière et syn-
thétique qui a fait le succès de l’artiste. Il reprend
ici l’un de ses motifs favoris, l’île d’Herblay sur la
Seine à quelques kilomètres de Paris, qu’il s’est à
plusieurs reprises attaché à saisir aux différentes
heures de la journée. Cette silhouette insulaire
couronnée par un bouquet d’arbres offre au
peintre tous les éléments naturels qui structurent
habituellement ses compositions. Perforant
l’ombre des feuillages, le soleil levant fait scintiller l’eau du 昀氀euve en touches méticuleusement
fragmentées, contrastant avec les grandes zones
colorées en aplats du ciel nuageux et rose. Plutôt
adepte des heures du soir, du crépuscule, voire
même du lever de lune, il privilégie ici les effets
de lumière du matin baignant de re昀氀ets dorés
la Seine encore partiellement gelée au premier
plan. En mêlant certains éléments empruntés
aux estampes japonaises à un subtil pointillisme
qui lui est propre, Guilloux nous livre une œuvre
mystérieuse et poétique, emblématique de son
œuvre, à la croisée des différentes avant-gardes.
C’est sans aucun doute ce symbolisme singulier
qui vaut à l’artiste de 昀椀gurer en 1896 dans l’ouvrage de référence du critique André Mellerio, Le
Mouvement Idéaliste en Peinture, au sein duquel
son art est perçu comme « une façon nouvelle et
particulière d’envisager la nature et d’en concevoir la représentation, tout en lui conservant son
impression directe. […] L’ensemble des teintes
formait une harmonie donnant l’exquis du rêve.
Cependant qu’au fond subsistait une sensation
de réel, d’où se dégageait une émotion ou calme
ou tourmentée qui saisissait et pénétrait2. »
1
Geo昀昀roy, Gustave, « Les Indépendants », La Vie Artistique, avril-mai 1893, p. 373.
2
Mellerio, André, Le Mouvement Idéaliste en Peinture, Paris, H. Floury, 1896, p. 42-43.